Sa Préférée
Sarah
Jollien-Fardel
Éd. SABINE
WESPIESER, 2022 (200 pages)
Elle et Louis
« Moi, je suis née morte. » Car c’est par l’oxymore qu’on pourrait désigner ce premier roman tout aussi antithétique que perturbant de Sarah Jollien-Fardel, caractérisé par le besoin de fuir un père dément, et celui de retourner se blottir dans le sein d’une mère martyrisée. Quand les rôles de Jeanne, le protagoniste, s’inversent constamment entre victime et bourreau, on ne peut qu’être intrigué par son personnage, fil conducteur d’un roman cruel par son réalisme.
Lorsque votre père, chauffeur routier alcoolique,
vous oblige à enterrer votre chat devant vos yeux effarés de fillette de dix
ans, après l’avoir noyé dans la baignoire, lorsqu’il vous rosse de coups et
vous étrangle alors que vous dessiniez un gentil et joli tigre quelques minutes
auparavant sur la table de la cuisine, et force votre mère à ramasser avec sa
bouche les grains de riz qu’elle a fait tomber, le moins qu’on puisse dire
c’est que vous n’avez pas tout à fait vécu une enfance normale.
C’est dans ce petit canton du Valais suisse
durant les années soixante-dix, où tout le monde sait et tout le monde se tait,
que se déroule le drame, que le père bat, que la mère subit, et que les enfants
apprennent à survivre. Là-bas grandissent Emma et Jeanne, deux sœurs aux
antipodes l’une de l’autre, unies cependant par les traumatismes d’une enfance
écorchée par la violence de Louis, le père. « Je me gargarise de la
violence de mon père alors que je devrais grandir », confiera Jeanne,
narratrice homodiégétique. On découvre sa vie de « mort-vivante » où
toute tentative de s’affranchir du passé est entravée par les souvenirs, la
colère et la culpabilité. Elle passera
alors sa vie à fuir. Du Valais à Sion pour le collège, et de Sion à Lausanne
pour l’université. En vain. Cette « destructrice intranquillité » la
suivra partout, l’ombre de son père irascible à jamais tapie dans la pénombre
de son quotidien, s’immisçant jusque dans l’intimité de ses liaisons. Car il ne
suffit pas de fuir sur la carte. Il faut fuir à travers les autres,
constamment, impunément. Après Charlotte, la sensuelle, la petite bourgeoise,
il y aura Marine, l’aimante, la tolérante, et puis Paul, le collègue, le
défendu, le seul homme qu’elle aimera. La majorité de ces relations seront
envenimées par l’adultère.
La complexité et l’ambivalence de Jeanne se
traduisent surtout par les impressions contradictoires qu’elle suscite chez le
lecteur. Tantôt c’est une femme égoïste, déloyale, qui agace parfois par
l’inconséquence de ses choix, et tantôt c’est la petite valaisanne qui essaie
tant bien que mal de s’extirper des griffes lancinantes de son passé, qui
sursaute au bruit de chaque tiroir qui se referme. C’est un roman émouvant qui
fait mal. Ses personnages sont aiguisés, placés sous la loupe, disséqués au
plus profond de leur être avec la finesse d’un style poétiquement cru et
parfois vulgaire. Sans ambages, l’auteur
dépeint la réalité brute.
Sa préférée ne se contente pas
de pointer du doigt la violence. Il en montre les conséquences, les
séquelles, s’attarde sur chaque émoi, étudie les choix, retrace leurs origines
et remonte aux racines des traumatismes d’enfance. Il analyse avec transparence
le caractère de l’héroïne et de ceux qui l’entourent d’une manière fluide et
sans lourdeur, Jeanne faisant preuve d’un niveau d’introspection franchement
étonnant, ce qui compense parfois son impulsivité. Le tout est agrémenté de
dialogues laconiques mais révélateurs, faisant de lui presque un roman
psychologique.
Le thème de la violence, si important au
cœur de l’autrice, journaliste suisse de 51 ans, n’est pas le seul à être
abordé. La problématique de la responsabilité personnelle est posée : être
victime de son passé justifie-t-il que l’on devienne soi-même bourreau ? Sa
façon de traiter ceux qui l’aiment, l’on pense notamment à Marine, est injuste.
Ce que Jeanne a vécu, hermétique au plaisir, étanche à la souffrance, est
effroyable, bestial, inhumain. Le roman se charge parfaitement de nous faire
comprendre cela, mais il ne s’arrête pas là.
Sa préférée ne se lit pas un
dimanche après-midi lorsqu’une envie d’évasion vous prend. Ce n’est pas un coup
de cœur, c’est un coup de poing que l’on se prend au visage. L’appel à l’aide
d’une Femme. Une « fiction réelle » aux péripéties déconcertantes.
Car le parallélisme avec la vie de l’autrice existe bel et bien : bénévole
dans une association contre les femmes battues, elle fuit elle aussi le Valais
et part se consoler dans le lac Léman.
Sa qualité littéraire mise de côté, c’est
un livre qui a besoin d’être lu. Pour qu’il y ait moins de témoins passifs.
Pour que les victimes comme Claire, la mère de Jeanne, osent parler, partir.
Pour qu’aucun père n’ait plus de « préférée ».
Myriam Nsouly
Université Saint
Joseph de Beyrouth (Liban)
Beyrouth-sur-Seine
Ghoussoub Sabyl
Éditions Stock, 2022 (197 pages)
Mon pays, mon histoire
« Tous pour la
Patrie, pour la gloire et le drapeau ». Voici la première phrase qui ouvre
l’hymne national libanais. Ce Liban a tant manqué à Sabyl Ghoussoub, et à ses
parents qui vivent en exil à Paris depuis la guerre civile de 1975, qu’il finit
par en faire un roman : Beyrouth sur Seine.
« À l’heure où le
Liban vit une succession de crises sans fin, ce roman inspiré de la vie de mes
parents me semblait nécessaire à écrire. Il est ici question d’exil, d’attente
et d’espoir, de famille et de guerre mais aussi de poésie, de musique et de
lieu rêvé que seul l’art peut faire exister. »
Sabyl Ghoussoub est un
écrivain des frontières absurdes, des marges où la folie de quelques milliers
d’hommes au pouvoir, de seigneurs de guerre, de corrompus, contraint la vie de
millions d’autres. Né à Paris en 1988, dans une famille libanaise, il tient la
chronique littéraire « Quoi qu’on en lise » du quotidien francophone L’Orient-Le
Jour. De 2011 à 2015, il a dirigé le Festival du film libanais à Beyrouth.
En 2019, il a été commissaire de l’Exposition « C’est Beyrouth » à
l’Institut des Cultures d’Islam de Paris. Il a participé à l’ouvrage Le
Liban n’a pas d’âge publié aux Éditions Bernard Chauveau en 2020. En 2018,
il publie aux Éditions de l’Antilope Le Nez juif, puis Beyrouth entre
parenthèses, mention spéciale France-Liban 2020.
Beyrouth sur
Seine, publié aux Éditions
Stock, parle de la monstrueuse guerre civile qui a ravagé le pays de 1975 à
1990. Ce sont perpétuellement les familles qui trinquent, déracinées à jamais,
même si elles ont l’opportunité de refaire leur vie en exil, tel que Kaissar
et Hanane Ghoussoub, réfugiés provisoirement à Paris, en 1975. Ils y
vivent toujours et ont fini par demander et obtenir la nationalité française,
mais ne se sentent jamais « français – français ». « Le Liban,
c’est mes parents », confie-il. Alors, ses parents, avant qu’ils ne soient
trop âgés
et qu’ils ne disparaissent, il décide de les interviewer, de leur faire
raconter leur arrivée et leur vie, et, surtout leurs souvenirs du pays. C’est
cela qui donne à ce livre l’aspect hybride français-libanais et ce goût doux–amer,
où le déroulé chronologique de 1975 à aujourd’hui, dans lequel le Liban vit une
crise indescriptible, surtout depuis l’explosion du Port de Beyrouth le 4 août
2020, se voit transcrit par des saynètes où l’auteur se met lui-même en scène
en manifestant et se révoltant au Liban durant la révolution de 2019 contre
cette même corruption qui força ses parents à quitter le pays il y a 44
ans ! Et c’est cela qui est formidable dans ce roman d’autofiction
illustré par de vraies photos de sa famille exilée, et qui ne peut
qu’intéresser tout lecteur déraciné ou simplement curieux. Ce roman relate
également les attentats de la rue de Rennes et de la rue des Rosiers, attentat
dont les parents de l’auteur furent victimes. Ainsi sa mère rescapée de
l’attentat de l’ambassade iraquienne à Paris s’écrie : « Je ne veux pas
mourir en France. Je veux mourir au Liban, je veux mourir au soleil. »
Chacun,
de quelque coin du monde qu’il soit, est invité à dévorer ce roman, car chaque
peuple a enduré la guerre. Ce roman a une importance extraordinaire parce qu’il
nous ouvre les yeux et nous rappelle les atroces souffrances et les immenses
sacrifices qu’ont dû endurer nos parents ! Il nous rapproche des nôtres et
nous transmet le plus important des messages : Aimez et chérissez vos
parents, votre terre, et surtout vos origines. Voici ce qui fait que ce roman
figurant sur la première liste du Goncourt, aurait mérité de remporter le prix
Goncourt français ainsi que celui de l’Orient !
Sabyl
est amoureux d’Alma, une beyrouthine, et vit avec elle une magnifique relation.
Et si sa sœur aînée semble avoir fait une croix sur ses origines, le narrateur est
encore porteur du virus libanais. Poussés par cet attachement irrationnel, la
guerre officiellement terminée, l’auteur et sa famille décident de
retourner pour quelques jours au Liban. Hanane, sa maman, décide bien évidement
d’immortaliser le moment en filmant la mer. « À l’âge de trente-deux ans,
lorsque je vais la découvrir, je fondrai en larmes seul dans mon appartement.
Elle est symboliquement ma deuxième naissance, le second accouchement de ma
mère, le début de ma vie. Cette vidéo […] elle n’est pas de moi, mais de ma
mère qui filme pour son fils la mer de son pays ».
Maria Khattar
Université Saint-Joseph de Beyrouth (Liban)
Une heure de ferveur
Muriel Barbery
Actes Sud, 2022 (256 pages)
Une
heure de ferveur ou l’exaltation de l’invisible
« À l’heure de mourir, Haru Ueno
regardait une fleur et pensait : Tout tient à une fleur. » C’est ainsi que
s’ouvre ce roman de Muriel Barbery qui se présente comme une ode
au Japon, à la beauté du visible et à la quête de l’invisible.
Le dernier-né de Barbery est
le préquel de son précédent roman, Une
Rose seule (2020), qui narre l’aventure de Rose, une botaniste partie au Japon
sur invitation posthume de son père qu’elle n’a jamais connu, à la découverte
de ses racines. Dans ce saut en arrière, l’écrivaine nous emmène aux environs
de Kyōto, où se dresse le temple de Shinnyo-dō, dans un décor naturel féérique
où le personnage central, Haru Ueno, a choisi de bâtir sa demeure. Le récit
relate sur cinq décennies, entre 1970 et 2019, la vie de ce Japonais sensible à
la beauté, qui se découvre assez jeune une vocation de négociant d’art. Devenu
riche, il connaît une existence mondaine plutôt insouciante, jusqu’au jour où
une jeune Française fait une brève irruption dans sa vie avant de rentrer en
France. Il apprend par la suite qu’elle attend un enfant de lui, mais elle lui
interdit de l’approcher, sous la menace du suicide. Le bouleversement causé par
le fait de se savoir père apporte une nouvelle dimension à la vie de Haru qui
gravite désormais autour de Rose, cette fille lointaine qu’il observe à
distance. Il tente alors de vivre sa paternité de manière assez singulière :
d’après les renseignements glanés et les photos fournies par un investigateur, il
se représente sa fille et noue avec elle des dialogues imaginaires où il lui livre
ses réflexions et lui « transmet » l’âme japonaise et « la voix
de ses ancêtres montagnards ». La vie du personnage poursuit son cours au
fil des amitiés et des conquêtes, mais ce secret opère en lui une métamorphose
intérieure. Le lecteur est tenu en haleine jusqu’au bout : Finira-t-il par
rencontrer cette fille adorée?
Tout au long de l’ouvrage, l’auteure
de L’élégance du hérisson (2006), qui
fut lauréate d’une résidence à la Villa Kujoyama[1]
(2008-2009), communique sa passion ardente pour le Japon. Ponctué de
descriptions empreintes de poésie, auxquelles on pourrait reprocher une certaine
répétition et le prolongement parfois inutile du récit, le roman célèbre la nature de ce pays ainsi que sa culture, en usant à foison
de références culturelles. Les nombreux personnages, qu’ils soient Japonais,
écartelés entre attachement aux racines et séduction de l’Occident, ou
occidentaux éblouis par l’univers nippon, sont attachants. Muriel Barbery réussit
à capter l’âme de ce pays et les tourments qui hantent ses habitants soumis aux
aléas de la nature, mais aussi aux blessures indélébiles du mal humain à
l’instar de celle d’Hiroshima. Les protagonistes, frappés tour à tour par les
tragédies, font preuve d’un fatalisme stoïque et d’une résignation qui intriguent. Ainsi,
Haru considère qu’il « nage dans un courant invisible et perpétuel où se
trouve aussi [s]a fille, chacun pour l’éternité à une place
précise qu’il est vain d’espérer changer. »
Les réflexions philosophiques
sont au cœur de ce roman original. À côté de la vie, de la mort et de la
beauté, il y est question du visible et de l’invisible. Ainsi, un débat passionnant
sur la forme et l’esprit oppose Haru, qui privilégie la forme dont la sublimation engendre l’art, et son ami
artiste Keisuke qui travaille à l’effacement de la forme en recherchant
l’esprit : « Tu crois que l’esprit naît de la forme mais c’est le
contraire, la forme n’est que la partie visible de l’esprit et le fantasme
apparent de sa maîtrise. »
Bien qu’il ne soit pas facile à lire, le
roman est un concentré d’élégance. Élégance de l’écriture,
du choix des mots, élégance des personnages, de leur perception du monde, de leur
résignation à la fatalité. Le récit se situe plus dans la description et la
pensée philosophique que dans l’action; néanmoins l’intrigue demeure entière,
fluide, et le mystère, le symbolisme lié au folklore japonais, voire le
surnaturel, aiguisent la curiosité. L’expression de l’amour pur qu’éprouve Haru
pour sa fille éloignée, si incongrue qu’elle puisse paraître, n’en est pas moins émouvante.
Il est juste d’affirmer que Barbery,
par la délicatesse de sa plume et la mise en scène de ses personnages animés, selon
sa propre expression, « d’un grand désir de beauté, d’une grande passion
fervente et ardente pour l’existence », a remporté haut la main le pari risqué
de faire vivre à ses lecteurs une sacrée heure de ferveur.
Maya Hardini
Université Saint-Joseph de Beyrouth (Liban)
[1] Établissement artistique français à Kyōto destiné à
l’accueil d’artistes et de créateurs français
Taormine
Yves Ravey
Les Éditions de Minuit, 2022 (87 pages)
Taormine :
Quand les valeurs humaines sont aussi en vacances
« Et puis ce fut le choc », une phrase qui va rompre la tranquillité d’un
couple qui passe ses vacances en Italie, à Taormine, presque en douceur,
presque sans bruit.
C’est un court roman, construit comme
un road book, qui tourne autour d’un couple au bord de la séparation, décidé à
se changer les idées en passant des vacances en Sicile, à Taormine, une petite
ville très connue des touristes. Melvil Hammett, chômeur « qui ne sait rien
faire de ses dix doigts », et refuse tout emploi proposé, et Luisa Hammett,
chercheuse au CNRS et fille du professeur Gozzoli, prennent la route, puis font
une pause dans un snack bar avant d’aller au bord de la mer, dans un coin situé
à côté d’un camp de migrants, profiter de l’eau froide. Sur le chemin du
retour, la nuit est tombée. Le temps se gâte, la visibilité est réduite. C’est
alors qu’ils heurtent quelque chose, « une forme ». Un renard ?
un chien ? une bête sauvage ? Melvil et Luisa ne sont pas d’accord.
Luisa veut vérifier, Melvil l’en dissuade. Il fait sombre, il pleut, il faut
arriver à destination. Après avoir passé la nuit dans un village du nom de
Gravinella, chez un épicier du coin qui les reçoit chaleureusement, ils
arrivent enfin à l’hôtel Via Del Mare où ils ont réservé une chambre. Toutefois,
la réalité amère va rattraper le couple insouciant quand il s’arrête pour faire
le plein :
« De retour à la voiture, j’ai lu,
par-dessus son épaule, titre pleine page, grosses lettres, caractères gras : Mort
d’un enfant devant la plage d’Acireale. Á côté, la photo d’un corps d’enfant,
tourné sur le flanc, parmi les herbes. Puis un intertitre, lu à haute voix par
Luisa, le corps a été retrouvé au milieu de la nuit, l’enfant, échappé d’un
campement. »
C’est ici que le couple multiplie les
disputes, s’accusant mutuellement, tout en tentant d’agir normalement aux yeux
des autres. Mais la situation s’envenime quand ils décident de réparer leur
voiture cabossée chez Michelini, aussi père de la réceptionniste Rosa et beau-père
du serveur Roberto, qui travaillent tous deux à l’hôtel. Les Hammett apprennent
alors qu’ils sont recherchés par la police italienne, qui les suspecte du
meurtre de l’enfant.
De fil en aiguille, on assiste à la
lente mais sûre transformation de Melvil et de Luisa Hammett. Venus au départ
régler leurs conflits, tout en profitant du soleil sicilien, ils deviennent page
après page de plus en plus cyniques, ne pensant qu’à leur intérêt, pressés de
fuir leurs responsabilités au mépris de la justice et de la mort du petit
migrant…
Yves Ravey n’en est pas à son premier
roman. En effet, cet enseignant de lettres et d’arts plastiques au collège
Stendhal de Besançon, avait déjà publié Le Drap, un roman noir qui remporte le
prix Marcel Aymé en 2004. Il décroche de même le prix Renfer en 2011 pour l’ensemble
de son œuvre. Quant à Taormine, à peine sorti, il lui vaut (en septembre 2022) le
prix des librairies de Nancy.
Pour son style grinçant, nous faisant
plonger dans un univers sans foi ni loi et dans la profondeur des pensées
lâches d’un couple ordinaire, pour son sujet brûlant d’actualité, traitant de
la corruption des autorités italiennes, de la misère des migrants qui s’exposent
à tous les dangers et de la victoire effrayante de l’individualisme, au
détriment de toute morale, pour le suspense omniprésent qui fait craindre le
pire à chaque page, ce roman est pour nous une véritable pépite. De quoi faire
craquer les amoureux du roman noir.
Sergios Roufael
Université Saint-Joseph de Beyrouth (Liban)
Sabyl Ghoussoub
Beyrouth-sur-Seine
Éditions Stock (197 pages)
La guerre civile : Un non-vécu éprouvé
« J’ai demandé à ma mère pourquoi elle avait réalisé si consciencieusement
des albums de famille, elle m’a répondu : "Pour que vous vous souveniez".
Elle souhaitait donc qu’on se souvienne uniquement des belles choses ».
C’est par ces mots que les parents de l’auteur libanais Sabyl Ghoussoub,
installés en France, lui ont
présenté les souvenirs chaleureux de la vie familiale, et ceux tristes et
angoissants de la guerre civile libanaise qu’il n’a jamais vécue.
Les ouvrages sur la
guerre civile libanaise sont nombreux mais celui-ci est vraiment une œuvre à
part, absolument inouïe. Beyrouth-sur-Seine est assurément un roman d’une originalité
remarquable : la guerre y est retracée par une personne qui ne l’a pas vécue
mais qui la raconte comme si elle en avait traversé toutes les épreuves.
En effet, Beyrouth-sur-Seine constitue une frise
chronologique relatant l’histoire du Liban avec un style moderne et fluide, ce qui
le démarque nettement des livres historiques et des autres romans.
L'auteur y questionne
le passé du Liban qui a notamment marqué ses parents aujourd’hui déracinés. En
1975, le père de Ghoussoub, poète-journaliste
qui était tombé amoureux des yeux de sa femme des années auparavant (« Si Dieu était juste il aurait donné à la terre
deux saisons... comme tes yeux »), décide de venir vivre à Paris. Mais
malheureusement, le Liban sombre dans un conflit sans fin, si bien qu’il finit
par rester avec sa femme dans la capitale française quarante longues années.
La guerre a duré
longtemps, les parents de l’auteur sont de fait restés très éloignés de leurs
proches, regardant de loin les massacres qui ont lieu au Liban chaque jour,
faisant le lien entre la guerre libanaise et les attentats perpétrés à Paris
dans les années 70 et 80.
De Paris à
Beyrouth, la famille a vécu à distance « les évènements ». Parfois la
douleur leur devenait insupportable, des sentiments contradictoires les
gagnaient et des images affreuses de mort les hantaient. La vie dans ce milieu
parisien étranger, alors que tous leurs proches connaissent l’horreur de la
guerre, les attentats, les voitures piégées, est une épreuve très difficile à
traverser.
Mais puisque le
retour au Liban est impossible, les parents de l’auteur recréent Beyrouth à
Paris, maintenant les habitudes libanaises dans tous les domaines du quotidien :
la cuisine, les regroupements familiaux ou amicaux… autant de coutumes
indissociables du tempérament libanais. Leur but est d’apaiser la nostalgie qui
les ronge en ramenant une part de leur pays natal dans le pays où ils sont
obligés de résider.
Pour nous plonger
dans l’atmosphère de son roman, Sabyl a interviewé ses parents qui ont réussi
avec humour à raconter leur histoire. On apprend notamment comment ils ont réussi
à faire perdurer un attachement familial inébranlable malgré l’éparpillement de
la famille aux quatre coins du monde : en effet, la famille Ghoussoub a un
groupe WhatsApp avec plus que 100 membres. Dès lors, ce roman devient le miroir
de tous les Libanais qui ont vécu la guerre et la séparation, contraints à communiquer
désormais par le biais des réseaux sociaux.
Après avoir intensément parlé de
guerre, de famille et de nostalgie, Beyrouth-sur-Seine
devient le lien éternel entre Beyrouth et Paris, des villes éloignées mais
que le destin a rapprochées. Ce roman ravive la mémoire libanaise en déroulant
sans indulgence des étapes douloureuses de son histoire. Un retour en arrière
nécessaire pour tourner la page de la guerre.
Itani Reem
Université Saint-Joseph Beyrouth
JOLLIEN - FARDEL Sarah
Sa Préférée
Éditions Sabine Wespieser,
2022 (200 pages)
La déchéance
d’une vie
La surprenante
autrice Sarah Jollien-Fardel se met dans la peau de Jeanne qui a fait face à de
nombreux drames depuis son enfance, notamment à cause de la violence incessante
de son père. Elle n’a pas été sa seule victime, le reste de sa famille n’y a
pas échappé. Ce récit met en avant une jeune fille traumatisée qui lutte pour
continuer de vivre.
Les années défilent et la jeune fille quitte le Sion pour Lausanne. Le lecteur s’infiltre dans l’esprit de Jeanne qui dévoile le sadisme de son père envers les trois femmes de sa famille, ce qui ne peut que nous révolter. Jeanne suspend même tout contact avec sa mère et sa sœur pour éviter de se souvenir de son père. Durant sa première année universitaire, la narratrice découvre les soirées, l’alcool et son attirance envers les femmes, notamment grâce à Charlotte qui lui redonne de l’espoir : « C’est la première fois que mon cœur bat si fort pour autre chose que la peur ». Mais cette relation n’aboutit pas à grand-chose et les deux femmes décident de rompre. C’est avec Marine que Jeanne rencontre enfin le grand amour, mais n’étant jamais satisfaite et désormais hantée par le suicide de sa sœur, la jeune femme se referme sur elle-même car elle ne sait pas comment gérer ses émotions. Cette réaction va la confronter à des difficultés encore plus sérieuses car couper la communication équivaut à raviver ses souvenirs en boucles, ce qui va aggraver son état mental.
S’éloignant peu à peu de Marine, Jeanne développe une
irrésistible attirance pour Paul, un collègue de travail, et finit par
succomber à cet amour, ce qui en dit long sur sa conception de la fidélité dans
le couple. Claire tombe malade et finit par mourir, ce qui afflige davantage
Jeanne. L’état de son père lui aussi se dégrade et elle profite de son
absence pour fouiller sa maison d’enfance. Jeanne découvre alors avec stupeur que
sa mère jouait en réalité un double jeu avec le docteur Faucher, un médecin de
son ancien village, complice passif des abus de son père. Claire a tout fait
pour sauver ses filles des griffes infâmes de son mari, tout en se sacrifiant
pour elles. Cependant Jeanne ressent toujours de la rancune envers sa mère, à
laquelle elle reproche de ne s’être pas enfuie. Elle éprouve aussi une grande
culpabilité parce qu’elle n’a pas su la
sauver. Alors sa vie bascule, les actions s’enchaînent jusqu’à la dernière
rencontre entre Jeanne et son père qui implore son pardon ultime. Mais est-elle
prête à le lui accorder ? Le roman s’achève sur le retour de Jeanne au Valais,
le lieu dont elle voulait s’échapper. Pourquoi a-t-elle pris une telle
décision ? Sa vie ne serait-elle qu’un simple abîme de douleur ?
Jeanne passe ses journées dans une maison remise à neuf remplie des fantômes de
son passé, qui ne la remuent même plus : « J’ai le cœur tellement sec ». Le
lecteur la quitte sans savoir ce qu’il adviendra de son futur. Ce roman, tout
aussi touchant que révoltant, rappelle que la violence domestique est toujours
présente, souvent impunie, et que pour la plupart des victimes, les blessures
ne cicatriseront jamais.
Nour Cherfane
Université Saint-Joseph de
Beyrouth (Liban)
Les Méditerranéennes
Éditions Stock,
2022 (416 pages)
Quand la smalah
s’improvise prof d’histoire.
« – Non mais
tu as entendu ce qu’il a dit, Macron, un génocide, n’importe quoi, comme si
nous avions commis un génocide en Algérie ! » Humour noir, Histoire et histoire familiale.
Voilà les ingrédients de la nouvelle recette d’Emmanuel Ruben.
Dans Les Méditerranéennes, son roman aussi bien
historique qu’autobiographique, l’auteur fait l’éloge des femmes de sa
famille qui, tout en préparant le couscous et la kesra, lui ont conté
l’Histoire de l’Algérie et l’histoire de sa famille, juive originaire
d’Algérie. Neuf chapitres, neuf conteuses, neuf dates de l’Histoire de
l’Algérie racontées. Neuf, comme les branches du chandelier ramené par Mamie
Baya, témoin de la mémoire familiale, comme l’était le sabre introuvable de la
maison de ses grands-parents (Sabre,
2020).
Décembre 2017,
lors d’un diner d’Hanoukkah en famille, le lecteur retrouve Samuel Vidouble,
alter-ego de l’auteur normalien et professeur d’histoire-géographie en banlieue
parisienne, déjà mis en scène dans Sabre
et La Ligne des Glaces. Cette fois,
c’est décidé, Samuel posera enfin ses questions sur l’Algérie, cette mosaïque
de cultures entre le Sahara et la Méditerranée. Finalement, il n’ose pas tant
les blessures sont profondes. Alors, il se promet de retourner sur la terre de
ses ancêtres et se contente, en attendant, d’écouter et de se remémorer les Contes des Mille et Une Nuits familiaux,
narrés par les passeuses de légendes de son enfance : l’adoption du décret
Crémieux, l’horreur du premier conflit mondial en passant par le pogrom du 5
août 1934 et la Shoah, sans oublier les tiraillements entre l’engagement pour
l’indépendance et la fidélité à la République lors de la guerre d’Algérie et
l’exode terrible.
Et puis, d’un
coup... Fougue, passion, ardeur. Djamila, berbère musulmane rencontrée le
lendemain des attentats de 2015, devient l’élément déclencheur du voyage tant
imaginé. Alors que la mort frappe, le besoin de vivre cogne :
cinquante-sept ans après l’exode des siens, Samuel s’envole enfin retrouver les
traces de son passé et cette femme partie faire la révolution. L’Histoire se
mêle avec les histoires, la fouille historique devient aussi généalogique.
« - De toute façon
l’antisémitisme est la grande passion française ! Regardez, tant que les
islamistes zigouillaient des Juifs, ça dérangeait personne. Mais depuis qu’ils
ont touché à ces salauds de Charlie Hebdo, c’est la guerre ! »
« Elle avait des bagues à chaque doigt, un grain de beauté sur l’aile du nez, des cheveux noirs coiffés à la Mafalda et de grands yeux bruns écarquillés qui lui donnaient toujours l’air émerveillé. Sa voix rauque et sensuelle avait gardé des tonalités de l’enfance mais un très fort accent pied-noir la faisait parfois partir dans les aigus, rendant ses paroles un peu comiques »
Discours
familiers, descriptions délicates : quel fabuleux contraste !
Insultes en tout genre, synesthésies et énumérations nous font découvrir, avec
exaltation, une large palette de personnages hauts en couleur (même si,
parfois, le peintre s’emmêle les pinceaux tant l’arbre généalogique est
touffu…). On plonge, dans l’univers et la culture de cette famille de
« dingues », aussi amusante que meurtrie par les drames de son
histoire et de l’Histoire. Si elle s’exclame et s’indigne souvent, elle
dissimule et camoufle parfois : « [Déborah] se mit donc à raconter que
Roger n’était pas mort à la guerre, héroïquement, mais accidentellement, en essuyant
son arme ». Finalement, on découvre une famille universelle avec ses
évidences et ses secrets : parfois déroutante mais toujours aussi vivante.
« - Tu vois,
crétin, ce n’est pas dans la mer Noire, mais dans la Baltique !
– Il paraît
qu’ils mangent de la carpe farcie !
– Et ils portent
des bonnets de loutre ou de castor »
Profonds
et universels sont les maux ; légers et originaux sont les mots. La
singularité réside ici dans le fait qu’un thème aussi douloureux que l’exil
soit évoqué par un personnage aussi loufoque que Tonton Chemouel et qu’il
suscite un débat aussi comique que celui mentionné ci-dessus. La singularité, c’est
aussi d’évoquer la quête des origines et le lourd fardeau de la génération-témoin
avec humour : « [Samuel est] le rejeton d’une union contre nature
entre un goy et une juive, mais […] on lui dit en arabe saha et meskine, comme
tu es maigre, mange, mange, reprends du couscous au beurre ». Bref, tout
au long du roman, Emmanuel Ruben parvient à nous arracher le cœur tout en nous
arrachant un petit sourire.
Entre légendes et réalité, Emmanuel Ruben nous livre une quête des origines aussi abondante (parfois trop !) qu’exaltante et bouleversante. Les mots n’alourdissent pas les maux : ils racontent, avec une justesse historique, l’Algérie sous un prisme original, celui de la communauté juive, sans pour autant verser dans la victimisation. Universel et original, ce roman est aussi amusant que poignant.
EGLEME Maud
Université
Saint-Joseph de Beyrouth (Liban)
Les Méditerranéennes
Ruben Emmanuel
Éditions Stock, 2022 (266 pages)
Quand la terre de contraste fait narrer
l’indicible
Plus de 600 kilomètres séparent Lyon de
Constantine. Et plus de cent ans se sont écoulés entre la prise de l’ancienne
capitale de la Numidie et les attentats du Bataclan. Pourtant, Samuel sait
qu’il peut faire converger espaces et temps. Retracer, analyser,
comprendre : voilà ce qui le lance dans une quête effrénée pour faire
dialoguer une génération silencieuse…
« Elle
croyait savoir de quoi elle souffrait : elle souffrait du tabou. De la loi
du silence. De l’omerta. Elle souffrait de n’avoir jamais su la vérité ».
Le tabou, ce mal du siècle qui ronge toute la famille de Samuel et dont
Elizabeth, sa tante, est la première victime.
Personne n’a réussi à s’en détacher jusqu’alors. Après tout, pourquoi
vouloir connaître son histoire ? Les Juifs
d’Algérie n’ont-ils pas vécu assez d’atrocités ? N’ont-ils pas déjà eu leur compte ? C’est contre « cela », cette
Histoire que l’on ne compte pas, par peur de ressentir cette « fissure
qui parcourt le cœur et l’estomac » que Samuel se dresse.
L’arme
choisie par notre auteur est la détermination : Comment faire parler les
mutiques ? La communauté juive d’Algérie est-elle destinée à être la
victime des temps modernes ? Papy Roger est-il vraiment mort
accidentellement ? Comment s’est réellement déroulé l’exode de Mamy
Baya ? Ces questions rythment le récit,
redondantes et lancinantes, elles s’accrochent à l’auteur comme lui s’accroche
à elles.
Soudain,
un déclencheur : Djamila. Cette
jeune femme envoûtante, algérienne et de confession musulmane met le
protagoniste face à ces croyances historiques : « Il n’y a pas que
les juifs qui ont souffert de la guerre Samuel, tu devrais aller voir ce qu’il
se passe en Algérie… ».
Aussitôt,
le protagoniste débute avec rage son aventure initiatique sur le sol algérien ;
il est plus que jamais l’acteur du récit, de son récit. Le leitmotiv de la
quête structure son périple : le contact direct avec la terre, la
reconstitution imaginaire des anciennes bâtisses de sa famille, les séquelles
visibles de la guerre d’Algérie sollicitent ses sens et éclairent son esprit. Cette
projection presque enchanteresse balaye d’un revers de main « la mythologie
de la famille », récit historique unique dans lequel il était enfermé.
Cette
reconstitution chronologique, Samuel la doit aux héroïnes de ce roman
autobiographique que sont Les Méditerranéennes, « les femmes de ma
famille, sans qui, rien n’aurait été possible » déclare-t-il en
interview. En neuf chapitres éponymes,
elles narrent détails et grands évènements qui structurent l’identité familiale.
C’est
ici que réside toute l’originalité de l’ouvrage : les actrices du récit
sont les femmes de l’ombre, celles qui se battent pour ne pas faire sombrer ces
évènements dans l’oubli. À l’image de la Kahina, reine juive de Berbérie, dont
Mamy Baya récupère le chandelier, les femmes sont dotées d’une force presque
mystique, celle de la résilience.
Non
sans douleurs, tantes, mères et grand-mères nous transportent ainsi dans le
temps, pendant que Samuel continue son périple. La dureté des dialogues qu’elles relatent nous
frappe souvent : « Si quelqu’un vient à la maison, tu te sens
capable de tirer ? » demande Roger à sa fille de 10 ans.
Quelques
lignes plus tard, les descriptions longues et colorées viennent apaiser le
récit. Elles permettent au lecteur d’accueillir les images, les sons et les
odeurs qui accompagnent intimement la famille de Samuel à travers les
époques : « C’est un livre de rires et de larmes où
l'on naît, meurt, baise, se marie, où l'on pleure, s'engueule et rit
beaucoup » nous révèle l’auteur lui-même.
Le Prix du Roman historique attribué à cet
ouvrage prend tout son sens : Emmanuel Ruben réussit parfaitement à
dépeindre us et coutumes familiaux, insérés dans un contexte de guerre,
d’antisémitisme et de colonisation. Sans doute, ses connaissances de professeur
agrégé de géographie lui ont permis de dresser un tableau calqué sur le réel
d’une famille juive algérienne. La complexité « des identités multiples, légendaires, réelles ou
revendiquées – passé berbère, religion juive, langue arabe, citoyenneté
française » est
retranscrite de manière fidèle, selon les Éditions Stock.
Les Méditerranéennes est une ode à l’histoire orale, au travail
historique et une invitation à prendre du recul sur son histoire, sa famille.
Comment appréhender le retour en France ? Que raconter à sa famille ?
Comment éviter heurts et vexations ? Alors que de nombreuses questions se sont
élucidées dans sa tête, Samuel repart avec de nouveaux mystères…
Lise
Picquette
Université Saint-Joseph de Beyrouth (Liban)
Quelque chose à te dire
Carole Fives
Éditions Gallimard, 2022 (142 pages)
Entre Elsa et Béatrice
« Elle avait joué, elle avait
aimé et elle avait perdu », tel fut le sort d’Elsa Feuillet,
personnage principal du nouveau roman-phénomène de Carole Fives. Sorti le 18
août 2022 aux Éditions Gallimard, Quelque chose à te dire attire ses
lecteurs et les maintient en haleine via son intrigue passionnante et ses personnages
complexes, à la fois imparfaits et profondément humains. Le public se retrouve dans
la peau de l’héroïne alors que les évènements se déploient avec toute leur
magnificence erratique autour d’elle. Les messages universels portés par ce
roman sont nombreux. Dans cet écrit aussi beau par sa simplicité linguistique
que par son rythme dynamique, le lecteur est touché jusqu’au plus profond de son
âme, emporté par la dimension initiatique indissociable de l’histoire racontée.
Il y est question d’Elsa, écrivaine
française quadragénaire de petite renommée, qui porte une grande admiration à
Béatrice Blandy, LA figure dominant la scène littéraire en France. Lire
Béatrice permettait à Elsa de « se retrouver » et de « mieux
se comprendre ». Alors, quand se propage la nouvelle du « cancer
foudroyant » dont est atteinte l’écrivaine Blandy, l’héroïne accuse le
choc. Afin de lui rendre hommage, Elsa décide de citer son idole dans son
nouveau roman Forum. Son entreprise ne passe pas inaperçue puisque, peu
après la sortie du roman, elle reçoit le billet suivant : «
Chère Madame,
J’ai lu avec plaisir votre roman […] J’ai été très touché que vous
y citiez une phrase de ma femme […] J’ai appris que vous ne viviez pas à Paris,
mais contactez-moi lorsque vous y passez, j’aimerais vous rencontrer […]
Thomas Blandy »
Oui, c’était bien le mari de Béatrice,
Thomas Blandy, qui lui avait écrit. Elsa s’empresse de prendre le TGV de Lyon
vers Paris où elle rencontre Thomas dans son appartement – et celui de
Béatrice. Hormis le fait qu’Elsa est aux
anges de se retrouver dans « ce mausolée », la résidence de l’illustre
Béatrice, le courant passe à merveille entre elle et Thomas. Ces deux
facteurs vont la pousser à enchaîner les visites chez lui, ce qui mènera à
l’inévitable : la naissance d’une romance entre eux. Elsa emménage alors dans
l’appartement des Blandy et vit désormais parmi les anciens objets de son
idole. Dès lors, il devient clair pour le lecteur que l’admiration en apparence
innocente d’Elsa dissimule un côté plus sombre, plus obsessionnel et maladif. Ainsi,
les limites définissant le « moi » du personnage
principal se floutent dans la perception du public. En tant que lecteurs, on se
demande : Elsa est-elle toujours elle-même ? Car elle semble s’être métamorphosée
en une deuxième Béatrice. Son désir excessif de ressembler à son idole prend le
dessus, la dépouillant de toute individualité…
Un jour, une hypothèse lui traverse
l’esprit : « Béatrice était en train de terminer un manuscrit »,
avant la révélation de sa maladie. Bien que Thomas le nie, Elsa ne peut
s’empêcher de penser à cette possibilité. Et si quelqu’un est en mesure de dénicher
l’écrit perdu, c’est bien elle. Ainsi débute une chasse au trésor dans
l’appartement des Blandy. Une chasse au trésor qui aboutit très vite : un
carnet de notes est trouvé, caché dans les rayons « les plus
inaccessibles » de la bibliothèque de la salle de séjour.
Le lecteur suit alors Elsa, qui décide
de donner vie au manuscrit de Béatrice, lors d’une nouvelle quête dont le
trésor est la découverte de soi. Effectivement, l’héroïne cesse progressivement
d’être cet être fantomatique vivant dans l’ombre de l’écrivaine Blandy : « Elsa
existait, elle pouvait s’incarner dans ce texte, et tout en lui dessinant de
nouveaux contours, de nouvelles lignes, c’était elle qui se réinventait. ».
Mais que pourrait-il bien arriver
encore ? Seule la lecture du roman permettra au lecteur de le découvrir.
Afin de sauvegarder l’exquise aura de mystère enveloppant le roman et surtout
son dénouement, il nous faudra nous abstenir d’aller plus avant dans le résumé
de l’intrigue.
Ce qui est sûr, c’est que le parcours
qu’accomplit Elsa et l’évolution dont le public est témoin ne laissent pas
indifférents. Cette renaissance de soi parle à tous et porte en elle de
l’espoir pour tous ceux qui se sont perdus de vue dans l’immensité de la vie.
Elsa Feuillet démontre qu’il n’est jamais trop tard pour se retrouver soi-même et
s’assumer. Il est normal et même humain de se construire et de se déconstruire.
L’Homme n’est-il pas au final « une mosaïque, un patchwork, un être
éclaté et recomposé sans cesse » ?
Marielle Maroun
Université
Saint-Joseph de Beyrouth (Liban)
Les Méditerranéennes
Emmanuel Ruben
Éditions Stock,
2022 (416 pages)
L’illusion d’une vie dans
la pénombre
« L’humanité est un fleuve de lumière qui s’écoule
des vallées de la création jusqu’à l’océan de l’éternité. » – Khalil
Gibran
Dans ce siècle où triomphe l’arnaque, mieux vaut exposer
tous les points de vue présents autour d’un sujet précis. C’est exactement le
plan suivi dans l’œuvre romanesque d’Emmanuel Ruben, Les Méditerranéennes.
Cette œuvre renferme les témoignages fictifs de femmes juives algériennes
déracinées de leur pays d’origine. Le personnage principal du livre, Samuel,
retrace la piste nébuleuse et l’histoire enchevêtrée de ses ancêtres, les Juifs
d’un pays méditerranéen, l’Algérie. À ses yeux, la terre juive de ses origines
n’est que « cette Jérusalem africaine nommée Constantine, la ville aux sept
ponts suspendus ». Mais malheureusement pour lui, la majorité de sa famille a
déjà renoncé à ce pays et ne reconnait que le nouveau pays des Juifs, né sur
des terres qui lui sont étrangères. Pour résoudre cette énigme, il initie son
expédition durant une soirée familiale festive autour d’un objet hérité de
génération en génération : un chandelier à neuf branches. À chaque branche
de ce chandelier est consacré un chapitre qui lève le voile sur une femme juive
algérienne jouant un rôle dans la vie de Samuel. Dans cette histoire, spectres
du passé et vivants du présent se rencontrent pour marquer l’évolution
politique, historique et géographique de l’Algérie, que ce soit à travers les
guerres historiques, les conflits politiques ou les modifications géographiques
subies par le peuple.
Ce roman paru au mois d’aout 2022 est formé d’un pré-chapitre,
de neuf chapitres à propos des Méditerranéennes et d’un arbre généalogique de
la famille maternelle de Samuel. Le titre est quelque peu trompeur : il ne
traite pas des « méditerranéennes » au vrai sens du mot mais plutôt
des Algériennes tantôt juives tantôt judéo-berbères ; il ne s’agit donc
pas de toutes les Méditerranéennes : libanaises, syriennes, turques,
égyptiennes…
Ce roman n’est pas une autobiographie absolue :
l’auteur y raconte par le biais de son double romanesque (l’auteur ainsi que le
personnage principal sont titulaires d’un diplôme en géographie et enseignent
l’histoire et la géographie en banlieue parisienne) l’origine d’une famille
maternelle juive inspirée d’histoires réelles. Dans ce livre, le réel et le
fictif s’allient pour offrir une représentation globale et intégrale des différentes
perspectives selon lesquelles on peut considérer la diaspora juive algérienne.
Les thèmes au menu de cette œuvre sont des thèmes
sociaux, culturels, politiques et historiques, obstinément défendus et fréquemment
revisités ces dernières années : l’antisémitisme, le conflit autour des
terres orientales, les génocides historiques…
Fatima Kanaan
Université Libanaise section
2 (Liban)
Notre si chère vieille dame auteur
Serre Anne
Éditions Mercure de France, 2022 (128 pages)
La restitution inédite d’un casse-tête
kaléidoscopique
Mêlant la pitié à la curiosité, Anne Serre
expose le passé d’une vieille dame sur son lit de mort sous les projecteurs
d’une équipe intervieweuse venue reconstituer son œuvre inédite. Un roman
kaléidoscopique hors normes, aussi original que complexe, autant affectif que
fantastique, et où entretenir le mystère s’avère être le jeu ultime d’une
autrice décidée à nous retenir à bout de souffle dans sa petite boîte à
surprise.
« Il
y a longtemps que je serais mort si je n’avais pas eu ma libre entrée dans les
domaines enchantés de l’imagination […] ». C’est sur cette citation de
Laurence Sterne que s’ouvre ce roman dans lequel s’infiltrent une multitude de
mises en abîmes. Et c’est par conséquent l’auteur – qui n’est autre que la
vieille dame – qui commence à recomposer les fragments de son histoire
dispersée en présence de l’intervieweur persuadé de pouvoir tout remettre en
ordre.
Quatre
thèmes sont rassemblés dans cette œuvre : la métatextualité ou la
réflexion sur l’écriture, la mort, l’amour et la mnémotechnique ou la réflexion
sur la mémoire. Un langage simple sans pour autant être familier s’impose tout
au long de l’histoire, et une lecture de prime abord fluide se révélant être au
bout du compte très saccadée, pleine de confusion et de retours sur des
passages antérieurs, pour les besoins de la compréhension de l’intrigue.
L’œuvre comprend des dialogues très souvent rapportés au discours indirect
ou indirect libre, sans toutefois qu’il n’y ait recours à des répliques
conventionnelles. Le récit demeure beaucoup plus statique que dynamique, vu le peu
d’actions existant au sein de l’histoire. En ce sens, l’œuvre verse clairement
dans la description et la narration de souvenirs et de faits antérieurs. Quant
au registre, il est presque oral et donne quasiment l’impression que la
narratrice est intime au lecteur.
Les
personnages de ce roman sont tous, plus ou moins, des personnages
principaux : la narratrice (l’alter-ego de l’auteur dans sa jeunesse), l’auteur
(la vieille dame nonagénaire), le père de l’auteure-narratrice (plus connu sous
le nom de « l’homme à la Riviera »), Hans (le compagnon intime
imaginaire de l’auteur), Holl (le conjoint présumé de la narratrice), et
l’équipe intervieweuse.
C’est
un roman très original du fait que l’écrivaine élabore elle-même une intrigue
qui tourne autour de la rédaction et de l’achèvement de son propre livre. Mentalement
et culturellement instructive, cette œuvre propose un thème peu abordé dans la
littérature contemporaine, qui reporte des histoires basées sur la réalité avec
des personnages réalistes et un lien avec l’actualité. C’est un livre qui
requiert de fréquents retours en arrière et une réflexion permanente, ce qui fait
de lui un véritable casse-tête. De même, il se distingue par la complexité de son
intrigue agencée avec deux, voire trois mises en abîmes, ce qui est
extraordinaire pour un livre de 128 pages.
Le
caractère inclassable, déroutant, et pourtant envoûtant du
registre d’Anne Serre entraîne le lecteur dans une aventure palpitante, à la
découverte de fragments perdus. Elle a principalement recours à un ton distancié
et ironique et joue avec des structures et des genres littéraires variés – tel
que les mémoires, le journal intime et l’autobiographie – avec quelques thèmes
récurrents sur les amours perdues, l’amitié et la solitude.
Ce
roman peut être un appel à l’imagination littéraire qui stimulerait et
toucherait tout passionné d’écriture en l’incitant à se dépasser. L’œuvre possède
également une portée psychologique, dans la mesure où elle évoque la mort et
le deuil : en effet, la mère est morte et le père est veuf. Par conséquent, l’histoire
réconforte non seulement toute personne ayant vécu de tragédies familiales – plus
particulièrement dans l’enfance – mais aussi toute personne victime d’angoisse
et d’inquiétude.
Camélia SAADE
Université Saint-Joseph de Beyrouth (Liban)
Quelque Chose à te dire
Carole Fives
Éditions Gallimard, 2022 (168 pages)
Vol d’identité
pour exister
Le thème de l'identité individuelle domine les pages et
les chapitres de ce livre. En effet, Carole Fives nous conte l’histoire d’Elsa
Feuillet, écrivaine française de petite renommée qui admire immensément
Béatrice Blandy, une femme de lettres très réputée décédée récemment. Mais
cette admiration tourne petit à petit au désastre et Elsa finit par le payer
cher.
« Elsa Feuillet admirait Béatrice Blandy », voilà comment
débute ce roman. Nous ignorons encore qui est Elsa et pourquoi elle admire
Béatrice Blandy. Mais cette phrase pourtant si simple représente le fil de
cette intrigue, puisque c’est cette admiration qui va définir Elsa et tracer
son histoire.
Les
romans de Béatrice permettent à Elsa de mieux se développer en tant qu’individu
: « Lire Béatrice Blandy donnait à Elsa Feuillet l’impression de mieux se
comprendre elle-même ».
La mort
de Béatrice affecte fortement le monde littéraire français et surtout notre
héroïne. Que va-t-elle devenir sans les nouveaux romans de Béatrice ? La
solution à son chagrin consistera à lui rendre hommage en la mentionnant dans
son roman inédit Forum. Son livre ne passera pas inaperçu et à sa grande
surprise, Elsa reçoit la lettre suivante :
« Chère
Madame,
J’ai
lu avec plaisir votre roman, Forum. J’ai été très touché que vous y
citiez une phrase de ma femme. Votre livre aurait plu à Béa, à coup sûr.
J’ai appris que vous ne viviez pas à Paris, mais contactez-moi lorsque vous y
passez, j’aimerais vous rencontrer. Je vous joins ma carte, avec mon numéro,
Thomas Blandy »
Eh oui,
Elsa ne rêve pas, Thomas Blandy, le mari de son idole, un producteur de film
très célèbre a lu son livre, son livre à elle ! Il souhaite même la rencontrer
! Folle de joie, elle ne tarde pas à
prendre le train pour Paris.
Elsa
rencontre enfin Thomas, chez lui, dans son appartement de luxe à Paris et passe
un magnifique moment auprès de lui. Des semaines passent et la relation
qu’entretient Elsa avec Thomas devient de plus en plus intime. Elsa emménage
alors dans l’appartement des Blandy.
Il
est désormais clair pour le lecteur que l’admiration que porte Elsa pour Béatrice
devient obsessionnelle. En effet Elsa se glisse petit à petit dans la peau de
son idole, adoptant le même maquillage, le même style vestimentaire et, surtout,
désirant le même homme qu’elle. Ayant vécu auprès d’une mère peu aimante, Elsa
est en vérité une femme qui a une faible estime de soi. Depuis son plus jeune
âge, elle vole l'identité des autres. Sa personnalité ne se résume qu'à cela. Son
image se brouille encore à mesure qu’elle se met dans la peau de son idole. Elle
n’est plus alors que « la pâle, très pâle copie de Béatrice ». Mais Carole
Fives ne raconte pas une simple histoire fictive. Elle propose un véritable
message universel et incite ses lecteurs à mieux se comprendre eux même à
travers le personnage d’Elsa. Dans la vraie vie, beaucoup d’individus
assimilent ainsi l'identité de leur idole, et cette admiration excessive finit
par devenir autodestructrice.
L’obsession
d’Elsa l'entraîne de fait vers une quête évidente. Elle part à la recherche
d’un manuscrit perdu de Béatrice, qui d’après l’éditrice et la journaliste de
la célèbre femme de lettres, existe à coup sûr. Elsa pénètre dans le bureau de
Béatrice qui est interdit d’accès même à Thomas et après de longues recherches,
découvre l’existence d’un carnet de notes inachevé ayant appartenu à Béatrice.
Or Elsa
pense qu’elle est la seule personne au monde à pouvoir compléter ce carnet de
notes. Ce qui est extrêmement
intéressant dans ce livre, c'est l'évolution du développement personnel de
notre personnage principal à mesure qu’elle achève le livre commencé par
Béatrice. Plus elle donne vie aux notes inachevées, plus elle se découvre
elle-même, et vit dès lors une sorte de renaissance.
Le
livre est enfin complet mais que faire maintenant ? Doit-elle le signer de son
nom seul ou lui associer celui de Béatrice ?
Elsa décide de le publier sous son seul nom. Le livre connaît un énorme
succès. Mais ce succès tourne vite au scandale et Elsa est accusée de plagiat
ainsi que d’usurpation d’identité. Elle ne reçoit même plus aucune nouvelle de
Thomas. Mais ce n’est pas le pire puisqu’une autre révélation ahurissante
l’attend encore…
À
travers le parcours d’Elsa, Carole Fives adresse un message au lecteur,
l’encourageant à partir à la recherche de lui-même. Cette quête ne peut être
réalisée qu’individuellement. Il n’est jamais trop tard pour apprendre à se
connaître et Elsa en est le meilleur exemple.
Sophie
Esper
Université Saint-Joseph de Beyrouth (Liban)
Quelque chose à te dire
Carole Fives
Éditions Gallimard, 2022 (176 pages)
Quelle chose à dire ?
Écrivaine, vidéaste, plasticienne et chroniqueuse d’art, Carole Fives a commencé à écrire pour expliquer son travail de peintre. Elle anime également des ateliers d’arts plastiques et est l’auteure de textes pour la jeunesse. Récemment, elle a publié Quelque chose à te dire où elle met sa protagoniste Elsa Feuillet, jeune écrivaine, face à une mission qu’elle découvrira avec le lecteur à la fin du roman. Or c’est autour du titre du roman, qui possède une suite au dernier chapitre dans une phrase d’une lettre laissée par Béatrice, que gravite l’histoire entière.
Dans l’œuvre, les actions se déroulent de nos jours, en France et principalement à Paris ainsi qu’à Lyon. À travers le regard d’Elsa Feuillet, le lecteur découvre les moindres détails du monde de sa romancière préférée, Béatrice Blandy, et explore le somptueux appartement parisien de cette dernière, un appartement plein de souvenirs ; des photos et des livres qui vont accompagner Elsa Feuillet durant le long séjour qu’elle y effectuera après la disparition prématurée de Béatrice – ceci grâce à la relation qui se nouera entre Elsa et le veuf de Béatrice Blandy. Admirative de Béatrice Blandy, écrivaine plus âgée qu’elle, cette femme se retrouve dans chaque page de ses romans, qu’elle pouvait relire « chaque année sans jamais se lasser ».
Une fois installée dans la maison de Béatrice, animée par la curiosité, Elsa part à la recherche des carnets sur lesquels Beatrice avait laissé traîner des notes inachevées sur sa vie. La jeune femme consacre ses journées à rédiger la suite du texte. Au fur et à mesure qu’elle écrit, elle acquiert davantage de confiance en elle et bénéficie d’une force nouvelle insufflée par les notes de Béatrice. Ce texte apparait enfin sous le nom de Seul le désir et fait la une de plusieurs journaux, contrairement aux précédents. Mais son roman est accusé de plagiat du fait qu’il est partagé entre deux identités et disparait de toutes les listes de prix littéraires. Par ailleurs, elle ne recevra plus de réponses de Thomas à ses messages. Bref, elle a tout perdu.
Le passage par Paris, plus précisément par la maison des Blandy, dernière station, marque l’achèvement de l’histoire. Elsa lira une lettre adressée par sa femme à Thomas, et qui comporte des messages appartenant au couple, ce qui lui permet de comprendre qu’elle a été manipulée pendant tout ce temps sans s’en rendre compte : « J’ai quelque chose à te dire […] Ce texte, je n’ai plus le temps ni la force d’aller jusqu’au bout. […] J’aimerais que ce texte existe […] Pour cela, il faudra que tu trouves quelqu’un qui soit capable de le terminer. […] Quelqu’un qui soit écrivain, mais surtout qui connaisse mon œuvre de l’intérieur. » Elsa se retrouve alors dans un état de choc. Dans une scène que son inconscient fabrique, elle se voit recevoir de l’homme qu’elle a tant aimé, Thomas, un « césar du second rôle féminin ».
En un mot, un jeu de pistes se présente à nous dans ce roman. Ce qui mène le lecteur à se poser plusieurs questions : Pourquoi accepter d’être l’ombre d’une femme décédée ? Dans
quelle mesure est-elle un second choix pour Thomas ? Pourquoi prend-t-elle le risque de publier un texte dont elle n’est pas l’auteure principale ?
Autant d’interrogations qui vont clouer le lecteur sur place afin qu’il découvre l’énigme dévoilée à la fin du roman par Elsa.
Grâce à une écriture simple, Carole Fives a pu susciter la curiosité de ses lecteurs, les gardant ainsi en suspens pour dévoiler peu à peu des éléments qui leur ont échappé. Ce roman m’a personnellement permis de me perdre dans un monde de philosophie et de littérature de fiction d’un côté et dans celui de la réalité d’un autre côté, tout en attendant ce que Fives va écrire dans son prochain roman.
Maria Abou Jaoudeh
Université Libanaise
Notre si chère
vieille dame auteur
Serre Anne
Éditions Mercure de France, 2022 (128 pages)
Le dernier Anne Serre, une poupée russe narratologique
« Notre si
chère vieille dame auteur », un titre rassurant qui laisse présager d’un
récit tranquille voire plutôt conventionnel. Le lecteur peut se figurer une
nouvelle simpliste et touchante relatant la vie présumée d’une femme de lettres
à la retraite, ambiance chaleureuse, plaid et camomille au rendez-vous… Or il
n’en est rien.
Imaginez un village, tout
ce qu’il y a de plus français, paisible a priori où se trouvent notamment la
« maison au grenier » et la maison de la « vieille dame »,
protagoniste du livre. Progressivement, ce cadre idyllique le devient un peu
trop, et se met à ressembler de plus en plus à une peinture de maître aux
couleurs chaudes et dorées. Vous vous retrouvez dans ce paysage à mi-chemin
entre le réel et le fantastique, qui s’agrémente soudain de ruminants à la
toison en boucles d’or et aux cornes pyramidales, et d’interviewers qui tombent
mutuellement amoureux en conversant allègrement dans une langue inconnue,
appelée la « langue de la mort ».
Telle est l’atmosphère dans laquelle le
lecteur se voit plongé, au fil des pages du livre d’Anne Serre. Qui, du reste, n’est
pas une novice dans ce genre d’exploits littéraires…
L’auteure de ce livre
intrigant en possède en effet nombre d’autres traitant de cette thématique dans
son palmarès ; avec en particulier Dialogue d’été (livre où l’auteur
tient une conversation avec son double), Grande Tiqueté (où apparaît le langage
imaginaire des « chozezinconnues » qui s’apparente au langage de la
mort mentionné plus haut), ou encore Voyage avec Vila-Matas (dans lequel
Anne Serre se permet de transformer l’auteur espagnol en un personnage éponyme
dans son roman).
Malgré cela, Notre
si chère vieille dame auteure pourrait bien en être le plus abscons…
L’intrigue est la suivante : tout
commence avec la description d’un personnage a priori principal, « le
narrateur », vêtu d’un costume gris des années 1920 et chaussé de chaussettes
rouges par une narratrice qui parle en parallèle de sa propre vie. Mais voilà
qu’à un moment donné le récit prend un tournant différent, et qu’interviennent
les commentaires de l’« auteure » (la « vieille dame »), qui
sont eux-même rapportés par une tierce narration.... laquelle s’avère être la
voix d’un interviewer, chargé avec son équipe de restituer l’œuvre éparpillée
de la « vieille dame », afin
de l’interviewer en direct à la télévision. Leurs faits et gestes seront ultérieurement
rapportés par un « narrateur omniscient », qui semblera lui-même être
partie prenante du récit… Vous n’y êtes pas ? Nous non plus.
Ce n’est pas tout, l’œuvre
s’affranchit de tous les repères temporels et enjambe la fine limite qui sépare
le réel du fantastique. En effet, nous découvrons que la première narratrice du
récit n’est nulle autre que la vieille auteure elle-même mais avec plusieurs
dizaines d’années de moins, narratrice qui, aux côtés du père décédé de
l’auteure (un homme habillé à la manière des années 50 dans sa voiture cabossée
d’époque), déambule allègrement dans le village et assiste même à la fête organisée
dans la maison de la vieille dame, en se trouvant dans la même salle qu’elle… Et
ce en compagnie du mystérieux narrateur initial, « Hans », en costume
gris du siècle dernier.
L’œuvre se termine sur
une note encore plus kafkaïenne ; alors que l’équipe interviewante vient
retrouver la vieille dame le jour J pour l’interviewer en direct depuis sa
chambre, elle disparaît et cède la place sur son lit à son père au visage parsemé
de meurtrissures.
Il est clair que la
lecture de cette œuvre n’est pas de tout repos. Le livre d’Anne Serre s’inscrit
dans une tentative de création et d’originalité littéraire. Il est judicieux de
souligner qu’une nouvelle balisée d’autant de mises en abîme et de quiproquos
condensés en une centaine de page n’est pas exactement l’exemple type d’un livre
de chevet. Sauf si l’effet souhaité est de se tordre les méninges et de relire le
même passage une demi-douzaine de fois avant de s’endormir. En revanche, nous
la trouvons beaucoup plus intéressante pour les férus de littérature expérimentale,
aux esprits endurants et aventuriers, aux téméraires qui n’hésiteront pas à
rejoindre la narratrice, Hans et la vieille dame dans leur village pittoresque,
aux flancs duquel ils pourront visiter les sépultures de « Michel de
Montagne », de « Luc Maupassant » ou encore d´ « Aristide
Claudel ».
Roy Jizmejian
Université Saint-Joseph de Beyrouth (Liban)
Beyrouth-sur-Seine
Sabyl Ghoussoub
Éditions Stock, 2022 (320 pages)
À la recherche du pays perdu
« J’ai besoin de l’écrire cette guerre,
de la raconter, de savoir ce que mes parents ont ressenti et vécu. » Dans
ce récit, Sabyl Ghoussoub tente de reconstituer l’histoire de sa famille, qui
communique désormais à travers un immense groupe WhatsApp, une diaspora réunie qui
se dresse comme un ultime rempart face aux tumultes de l’Histoire. L’auteur
livre ici une peinture tendre et vibrante de la patrie perdue.
C’est
de la curiosité que naît le roman Beyrouth-sur-Seine. Son auteur, Sabyl Ghoussoub, est
né à Paris mais il déambule dans ses rues tel un passager clandestin, puisque
ce pays n’est pas le sien. Son véritable pays lui est en effet inconnu,
toutefois, il l’aime éperdument. Beyrouth-sur-Seine n’est en aucun cas
un procès qui juge la « schizophrénie libanaise » ou un éloge de
la ville lumière; ce roman est une enquête sur un pays natal fantasmé, mue par une
soif de vérité sans filtres, sur le passé de sa famille.
En
questionnant ses parents, l’auteur voyage à travers les époques et est propulsé
à chaque souvenir évoqué dans une phase de l’histoire franco-libanaise. Kaissar,
son père, poète-journaliste et Hanane, sa mère, qui ressemble à une actrice
italienne, racontent leur séjour censé être provisoire à Paris dans les années
70. Cependant, la guerre civile de 1975 éclate au Liban et entrave le retour de
la famille qui reste optimiste malgré tout : « Mes parents se
disaient : le mois prochain c’est terminé […] l’année prochaine,
tout cela sera terminé ». Sans
savoir que « le mois deviendrait une année » et
que les années finiraient par se succéder. Pour supporter l’éloignement, ils recréent
le Liban à Paris à travers les habitudes alimentaires (« Je ramenai
un kilo de sumac ») ou encore l’hospitalité, signature du peuple
libanais : « Je cuisinais toute la journée et le soir j’organisais
un festin. Il y avait toujours des cousins et des cousines ou des amis du Liban
de passage à Paris ». Rongés par la nostalgie, ils se consolent en gardant
le contact avec la famille restée au Liban ainsi qu’avec la diaspora libanaise
éparpillée aux quatre coins du monde. Le Liban devient alors un ailleurs dans
le quotidien, un point de ralliement rêvé et constant.
Beyrouth-sur-Seine se transforme alors en une frise
chronologique. L’auteur retranscrit l’histoire du pays depuis le départ des
parents : le commencement de la
guerre libanaise, les voitures piégées, les partis politiques en conflit (pro-palestiniens,
phalangistes…) tantôt alliés tantôt ennemis, les enfants traumatisés, le peuple
en léthargie… un Liban maudit, en constante déchéance : « Le Liban
est un pays entier voué à l’assassinat ». Cette fatalité rattrape même
les Français avec les attentats de Charlie Hebdo et les prises d’otage à l’ambassade
irakienne. Des mots comme « Palestine », « organisation armée », «
phalangistes » prononcés dans les JT français font écho dans le cœur des
deux peuples. Les deux territoires partagent désormais leurs maux.
Tout
en humour et transparence, Ghoussoub nous transmet le récit de ses parents, avec
une écriture fluide teintée d’arabismes. Toutefois, il n’hésite pas à pointer
du doigt l’adhésion aveugle aux partis politiques, en citant notamment ses
oncles Habib et Elias, ex-membres du parti communiste, dénonçant l’atrocité de cette
guerre qui viole l’innocence des enfants, le fanatisme des Libanais qui
soutiennent les meurtriers appartenant à leur clan comme lors du massacre d’Ehden
… et beaucoup d’autres fléaux, qui font dire à l’auteur : « Ce pays
m’a lessivé. »
Beyrouth-sur-Seine incarne une revanche non seulement pour les
parents de l’auteur mais pour tout le peuple libanais agonisant, car malheureusement,
le Liban d’aujourd’hui n’est pas bien différent de celui de 1975. C’est un
cycle infernal qui se répète à différentes époques : « Chez nous, on manque
de pain, il n’y a même plus de pain ». Un roman étrangement léger parfois,
où résonne entre les lignes le roulement des[r] libanais, qui fait vibrer
chaque âme libanaise, laissant échapper une larme de nostalgie et de rage.
Ce
roman est original aussi dans la mesure où son auteur se sent déraciné sans
avoir vécu au Liban (« Je suis déraciné, d’autres ne le sont pas,
c’est ainsi »), contrairement à sa sœur Yala qui est
indifférente à ses origines. Malgré sa situation difficile, le Liban reste
pour Ghoussoub le pays idyllique qu’il a connu à travers les yeux miroitants de
ses parents, le pays de la mer et du soleil.
Beyrouth-sur-Seine est un ouvrage comme une claque ; il est
intemporel et il faut le lire pour apprendre de l’Histoire une leçon d’humanité,
afin de rompre le cycle infernal où s’enlise le Liban et mettre fin au supplice
de son peuple.
Yara Saad
Université Saint-Joseph de Beyrouth (Liban)
Quelque Chose à te dire
Carole Fives
Éditions Gallimard, 2022 (176 pages)
Quelque chose à te dire : De
littérature et d’imposture
Dans son nouveau roman, Carole Fives aborde le thème du double, imposant à
son récit un rythme haletant proche du roman policier. Quelque chose à te dire est un thriller sur la création et l’imposture.
Il y a quelque chose dans ce roman qui fait passer l’impensable pour de l’évidence.
À l’heure où narcissisme et marketing
finissent trop souvent par occulter les vraies finalités de l’écriture et de la
création littéraire, Carole Fives nous rappelle, au moyen d’une intrigue
éloquente au retournement inattendu, que la raison d’être de l’écrivain, c’est
avant tout d’avoir quelque chose à dire. À travers ce roman captivant,
l’autrice met aussi en avant la force de l’écriture, ce qu’elle comporte comme
influence jusqu’à changer des vies, mais également son caractère explosif, son
pouvoir de nuisance.
Elsa Feuillet, jeune écrivaine en grand manque d’inspiration, divorcée, la
quarantaine, mère d'un petit garçon, admire l’œuvre de la grande Béatrice
Blandy. Cette femme dont elle a lu tous les livres incarne la réussite, le
prestige et l’aisance sociale qui lui font défaut. Celle-ci (Beatrice Blandy)
meurt prématurément, et Elsa rencontre son mari devenu veuf, Thomas, un riche
producteur de cinéma, dont elle s'éprend. Ils ont ensemble une liaison et Elsa
découvre un monde qui lui était totalement étranger, celui de la haute société
parisienne, pleine d'aisance sociale et d'entregent, et qui a, aux murs de ses
somptueux appartements, des Picasso et autres toiles de maîtres. Elsa va être
tentée de prendre la place de Béatrice, jusque dans l'écriture de ses romans.
Les trois parties du roman, « Admirer », « Explorer », « Imaginer », font
allusion au processus de création littéraire et semblent pouvoir s'appliquer à
l'autrice elle-même qui dédie son roman « aux autrices qu'[elle] aime, à jamais
vivantes ». C'est une lecture agréable, malgré un sujet rebattu et une intrigue
très linéaire sans véritable surprise. On s'attend à tout ce qui arrive.
On a le sentiment que l'autrice ne s'est pas donné assez de mal, qu'elle aurait pu complexifier son intrigue afin de surprendre davantage son lecteur. Certes, la fin du livre en constitue sans doute le meilleur moment, ce qui donne un relief différent à "l'historiette" que l'on a lue avant.
Line Halawi
Université Saint Joseph de Beyrouth (Liban)
Beyrouth-sur-Seine
Sabyl Ghoussoub
Éditions Stock, 2022, 320 pages.
"Beyrouth, reconstituée sur la Seine, située dans les cœurs"
Né à Paris en 1988, dans une famille libanaise, Sabyl Ghoussoub est un écrivain, chroniqueur, journaliste, photographe et commissaire d'exposition. Dans son troisième roman, Beyrouth-sur-Seine, il vient clôturer un cycle consacré au pays du cèdre commençant par Le nez juif en 2018, puis Beyrouth entre parenthèses en 2020. Dans son dernier roman, l'auteur signe un livre émouvant d'introspection familiale, avec en toile de fond le questionnement des origines. Le jeune narrateur relate l'histoire de ses parents franco-libanais, exilés à Paris depuis la guerre civile de 1975, cette histoire qu’il ne connaissait pas auparavant, mais qu’il découvre avec le lecteur, en les interviewant sur leur passé. Alors, avec son humour et le leur, il fait lever un vent d'espoir, propose une vision pacifique sur une situation tendue en se servant du regard de ses parents, juste et décalé sur le monde.
Sabyl Ghoussoub a décidé de questionner ses parents sur leur pays d'origine, le Liban, bien qu'il ne sache pas exactement ce qu'il cherche : Est-ce la vie de ses parents ? Ou bien celle de son père, ou est-ce la description de son pays ravagé par les années de guerre civile ? Ce sont ses parents et leurs frères et sœurs qui représentent les héros de ce roman et c’est à eux qu’il donne la parole, essayant à travers leur point de vue de comprendre et leurs vies, et l’histoire du Liban à travers environ un demi-siècle de perturbations continuelles.
La dualité, que l’auteur et ses parents éprouvent entre un pays où ils vivent et un pays qui vit en eux, apparaît dès le titre du roman Beyrouth-sur-Seine. Kaïssar et Hanane, de leurs prénoms, ont construit un « Beyrouth » minuscule dans leur petit appartement du 15ème arrondissement, qui donne sur « la Seine ». Dès les premières pages, on découvre cet attachement à leur pays natal, dans les plus infimes détails, depuis la chemise du pyjama de son père cousue et recousue mille fois parce qu’il l’avait achetée au Liban et qu’il ne veut pas la changer, jusqu’à la sonnerie de l’iPhone de sa mère qui « n’est rien d’autre que Bhebbak ya Lebnan, Je t’aime Ô mon Liban, de la diva libanaise Fairouz», en passant par les balcons où ils ont « recréé le jardin de leurs villages respectifs au Liban », et le petit-déjeuner typiquement libanais composé de « labneh, des olives vertes et du pain chauffé ».
De même que cette dualité entre Beyrouth et Paris apparaît dès le début du roman, le thème de l’immigration et des fils des immigrés est déjà manifeste sur la photo de la couverture, où l’on voit un père portant son fils et se dirigeant vers l’aéroport international de Beyrouth. Si le père tourne le dos à son pays et décide de s’en aller, le regard du fils reste quant à lui rivé sur sa ville natale. C’est la dernière image qu’il voit de son pays, qu’il gardera pour toujours comme souvenir et qu’il n’oubliera probablement jamais.
Bien que Sabyl Ghoussoub soit né à Paris, il a été nourri par ses parents de ce sentiment de nostalgie amère et de ce désir permanent de retour à leur pays, mais son style vif, simple, empreint d’ironie et d’humour n’entraîne pas le roman dans la tristesse et la mélancolie. Son livre est au contraire très agréable à lire : les petits détails nous captivent, les blagues répétées de ses parents nous font rire et ce sentiment d’appartenance à une grande famille, même par le biais de WhatsApp, nous fait chaud au cœur, dans ce monde froid où l’on vit et où l’on manque de chaleur humaine. D’autre part, Beyrouth-sur-Seine renferme des déambulations qui mettent en perspective l'absurdité d'un conflit politique qui perdure alors même que les gens possèdent souvent une culture similaire et des points communs qui devaient les rapprocher. Dans son ouvrage sincère, l’auteur a pu mêler deux histoires, celle de Paris et de Beyrouth de façon à mixer les époques, celle de la guerre et celle d'aujourd'hui. Cela nous donne l'impression de redécouvrir la ville un peu autrement, que ce soit à travers leur regard ou leur histoire.
D’ailleurs, on pourrait dire que l'auteur a été obsédé par ces parents déracinés, ballottés par les affres de la guerre, qui se recréent un monde tant bien que mal loin de chez eux. En outre, à travers l'histoire de ses parents, l'auteur rend hommage à toutes les victimes anonymes de cette guerre. C'est une peinture vibrante et fantasmée d'un Liban toujours plus martyrisé que sa diaspora recrée dans le quotidien de foyers reconstruits dans l'exil.
Étant détaché de la terre-mère et au travers de vastes communautés en ligne, ce livre est considéré par l'auteur comme un cheminement très personnel et une réflexion existentielle intime sur ses origines et son identité.
En analysant le discours dans ce roman, nous pouvons déduire qu’il y a plusieurs genres de discours :
Premièrement, il s'agit d'un discours narratif dans lequel le narrateur résume en quelques idées sa situation initiale, ainsi que les personnages de son roman où s’accumulent les évènements perturbateurs qui se rapportent à l'idée principale reliant sa propre vie à celle de sa terre-mère.
Deuxièmement, il utilise une sorte de discours informatif qui expose pour nous des détails concernant les événements de l'histoire qui l'ont frappé tels que sa relation avec sa famille et les incidents qui les ont conduits à l'exil, représentant leur résidence en France comme étant l'ombre tandis que le soleil de son pays natal symbolise la lumière. Ensuite, le narrateur compose un discours argumentatif qui éclaire sur la position de cette famille vis-à-vis des divers conflits politiques qui ont eu lieu dans son pays et par suite, sur les épreuves endurées par ses parents et tant d’autres, en vivant dans un autre monde tout à fait différent d'eux.
En guise de conclusion, ce roman m’a beaucoup plu. Il a retenu mon attention par sa chaleur humaine, la simplicité de son style, la spécificité de ses détails, qu’on perçoit comme des déjà-vus dans toutes nos maisons du Moyen-Orient. L’œuvre m’a admirablement mené à
comprendre la situation, du plus simple et intime de la famille libanaise, jusqu’au plus complexe de la politique et des idéologies libanaises.
Hany Abdou
Université de Tanta (Égypte)
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